La tyrannie de la transparence

Publié le 01/10/2011 à 16:23 par la-barque-d-or Tags : horreur sur place moi roman homme chez 2010 femmes animal livre monde dieu soi pouvoir aime
La tyrannie de la transparence

Aristide Leucate, Bvoltaire, 6 avril 2018

"Qui mieux que Pierre Le Vigan pouvait parler de la transparence, cette obsession diaphane de la postmodernité, cet obscène petit déjeuner quotidien chez Tyrannie, elle-même hôtesse intransigeante et parangonne de tous les vices privés devenus vertus publiques ? Comme le dit son préfacier, Arnaud Guyot-Jeannin, Le Vigan est « un penseur organique épris de liberté ». En effet, quoi de plus antithétique de la liberté que la transparence qui abolit toutes les limites protectrices de la pudeur, de l’intime, du confidentiel sinon du secret au bénéfice indu du voyeurisme de l’homme par l’homme ?

La transparence est symptomatique des sociétés liquides que Zygmunt Bauman a si bien décrites. L’exigence autoritaire de « clarté » et de « lumière » s’accommode parfaitement avec l’eau, cet élément aussi insaisissable et limpide que l’est cette notion vague de transparence. À cette enseigne, Pierre Le Vigan est bien inspiré de l’associer à la méduse.

Avec la transparence se manifeste le spectacle éhonté de ses travers les plus inavouables à la vue de tous, urbi et orbi, sans se rendre compte que l’orgie de ses turpitudes n’est que l’étalage vulgaire et complaisant d’un monde avachi qui marche délibérément de travers.

Les pensées collectées et consignées par Pierre Le Vigan dans son petit opus sont, à bien des égards, des moyens puissants de renouer avec cette sphère de l’intime, ce « pour-soi » qu’est, par définition, la méditation. On renoue, sur les pas de ce pérégrin endurant, avec le silence de la raison réflexive et raisonnante, loin du tumulte des vagues d’une époque qui se complaît, par Dieu sait quel mystère, dans le miroir sans tain de sa vacuité narcissique.

Le Vigan estime, à bon droit, que « l’intime, pour exister, doit être soustrait aux regards et à la compétence sociale. […] C’est pourquoi la colonisation du monde commun tout comme celle du monde privé par la marchandise et le culte de la transparence tend à nous priver de l’intime. » Le dogme égalitaire des droits de l’homme déclaratoires contribue largement à cet arasement des singularités soliloques, à ces fermetures sans compensation des tribunaux du for interne. « En conséquence, relève Pierre Le Vigan, plus les hommes sont égaux en principe, plus se manifeste l’envie, la recherche du bien-être, l’hédonisme. L’obsession de soi désocialise. »

Ce faisant, notre marcheur au long cours confirme avec éclat le diagnostic démo-despotique posé avec une implacable lucidité par Tocqueville : « Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. […] Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. […] Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir » (De la démocratie en Amérique, 1835-1840).

C’est cela, la transparence. Mettre au jour ce que l’on ne veut plus occulter au regard des autres. Or, c’est bien le propre de l’enfance que de ne pas s’empêcher – comme aurait dit Albert Camus – et de livrer fièrement, tout à trac, le produit de ses élucubrations bucco-anales. Le polissage de l’éducation que vient étayer le contrefort marmoréen d’une civilisation immémoriale a, précisément, pour objet de tirer un rideau opaque sur ces exhibitions primitivistes, de les enfouir au-dedans de notre cerveau reptilien. C’est pourquoi, à l’injonction infantile de la transparence, doit répondre un impératif salutaire de désobéissance civique."

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La tyrannie de la tranarence, carnets II, L'Aencre, 2011., Dualpha, 2018, La barque d'or, 2020.

Publié en 2011, "La tyrannie de la transparence" (l'Aencre-dualpha, diffusion http://www.librad.com et  http://www.dualpha.com) constitue une critique de la transparence comme horizon de notre temps et forme contemporaine du nihilisme.

Ce livre de fragments, notes et scolies s'inscrit dans une veine proche du "Front du cachalot. Carnets de fureur et de jubilation", publié auparavant, et qui part d'une méditation sur le "terrible front chaldéen" du cachalot chez Herman Melville. http://www.librad.com

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Nicolas Gauthier: « Un livre qui pousse à la réflexion sans jamais être pesant et qui, une fois refermé, donne l’impression au lecteur d’être devenu un peu plus intelligent qu’il ne l’était en l’ouvrant… ». (Flash, 16 juin 2011).

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Préface d'Arnaud Guyot-Jeannin à La tyrannie de la transparence :

 

" Pierre Le Vigan se caractérise par sa bonté, sa droiture, son honnêteté, sa curiosité et son indépendance d’esprit. Des mots trop galvaudés de nos jours. Il lit beaucoup, mais pense par lui-même. (...). 

 

Républicain subsidiariste, démocrate organiciste et socialiste populiste, Le Vigan est attaché au(x) peuple(s) de façon charnelle. Son populisme, jamais démagogique, est exigeant, aristocratique et anagogique. Il s’agit d’un aristo-populisme. Lui-même homme du peuple, il pense pour le peuple (mais jamais à sa place tant il considère que la souveraineté du peuple est inaliénable et devrait encore s’étendre).

 

Attachant une importance considérable au lien social, il déplore son délitement par les assauts conjugués de l’individualisme et de l’utilitarisme marchand. Néanmoins, il réfléchit sur les conditions possibles de sa réémergence dans l’espace public."

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Georges Feltin-Tracol: "Pierre Le Vigan scrute, dissèque, démonte les tares de notre époque." (Europe maxima, 2 octobre 2011). 

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Avant-propos de Pierre Le Vigan

La tyrannie de la transparence renvoie à une descaractéristiques les plus marquantes de notretemps. Il s’agit de la volonté de tout dire, de toutfaire savoir, du refus de l’épaisseur des choses, etde leur opacité.La transparence s’oppose nonseulement à l’opacité mais aussi, comme le relèveMichela Marzano, « à l’être de l’objet, à saprésence solide. » (Le Contrat de Défiance,Grasset, 2010). Critiquer la transparence n’est pasfaire l’apologie de l’obscurantisme. Il s’agit de direque tout n’est pas aisément communicable, et quece qui se dit et se montre n’épuise pas toute lacomplexité d’une situation et des relations entreles hommes. Et bien sûr entre les hommes et lesfemmes.La transparence est le revers del’oeilabsoludont parle Gérard Wajcman, c'est-à-dire del’Etat omnivoyant, de l’idéologie de l’hypervisible etde la dissolution de l’intime et du secret (YvanRioufol parlede « tyrannie de l’impudeur »).Cette transparence devenue obligatoire, jel’associe à un animal bien particulier. La méduseest un animal marin, comme le cachalot qui futl’emblème de mes carnets précédents (Le front ducachalot, Dualpha, 2009). La méduse est un animal marin sans os qui prolifère particulièrement en notre époque,sans doute en liaison avec les transformations dela planète dues à l’homme. Il n’est pas interdit devoir dans la prolifération de cet animal quasi transparentet invertébré, au demeurant assezélégant dans son registre, tout un symbole.Certaines méduses sont toxiques pour leshumains, mais seulement moins de 10 % desespèces. Bien entendu, certains peuples mangentles méduses, ébouillantées et séchées au soleil.« La faim est le meilleur des cuisiniers »remarquait Kant (Critique de la faculté de juger).La Méduse – et ici la majuscule s’impose – estaussi l’une des Gorgones. On meurt changé enpierre, c'est-à-dire au sens propre pétrifié, quandon la regarde, ou quand on regarde ses soeurs. LaMéduse est l’Autre « non comme hôte mais commehorreur, comme chaos, comme inhumain absolu »écrit Olivier Abel (La Croix, 28 novembre 2008).Mais il faut être circonspect devant les figures dites du mal, a fortiori quand on prétend définir un« mal absolu ». Les « figures du mal » ne doiventjamais décourager l’esprit de lucidité. Ces carnetsont été écrits de 2008 à2010. Certains extraits sont parus dans lemagazine trimestrielEléments http://www.revue-elements. ces carnets disent quelque chose du « tissu decomSil’âme » de leur auteur, un « fourmillement depetites inclinations », disait Gilles Deleuze, ce n’estpas l’auteur qui importe. Les vanités d’auteur nesont rien, d’autant que les citations tiennent la plusgrande place dans ces carnets, mais lessingularités d’auteur ne sont pas rien car ellesouvrent sur l’universel.Les citations sont desmunitions. Elles aident à comprendre l’homme, àcomprendre notre temps. J’aime à penser, dureste, que « tout a déjà été dit ». Mais tout asouvent été maintes fois oublié. Et tout doit êtrereformulé, toujours, et reprécisé, encore et encore.Dans sesCarnets du grand chemin, Julien Gracqécrivait : « J'ai plaisir à débusquer ces nuancespaysagistes ; ce sont des acquis qui jamais plus nese laisseront tout à fait oublier : l'enrichissementdes nuances saisissables du visage terrestre et deson expression est pour moi de tout autreconséquence que la saisie d'une subtilitépsychologique.  

Pierre Le Vigan